Sindbad ou la nostalgie, de Gyula Krúdy. L’aventurier de l’amour
Sindbad ou la nostalgie de Gyula Krúdy (Nouelles: 1911-1935)
For readers who can’t read in French, I will publish another post in English about Sindbad by Gyula Krúdy
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Sindbad ou la nostalgie est un recueil de nouvelles de l’écrivain hongrois Gyula Krúdy (1878-1933). Les textes sont tous centrés autour du personnage de Sindbad, un personnage récurrent de Krúdy, son double littéraire, son aventurier imaginaire. Sindbad est un aventurier de l’amour qui effectue des voyages-pèlerinages sur les lieux d’anciennes amours, soit pour se remémorer des temps meilleurs, soit pour se faire pardonner sa conduite passée.
Les nouvelles ont été publiées entre 1911 et 1935, une période de plus de 20 ans qui a vu la mort de la Hongrie de la jeunesse de Krúdy. Sindbad vieillit lui aussi, au fil des nouvelles et les textes deviennent plus noirs au fil du temps, témoins de l’écrivain qui vieillit et de la situation du pays. Il se dessine en filigrane un Sindbad voyageur et bohème, éternel amoureux, non pas d’une femme mais des femmes et de l’éternel féminin.
Sindbad confiait le destin de sa vie au destin et au hasard ; il pressentait obscurément que, maintenant encore, comme déjà tant de fois, une jeune fille ou une femme allait se trouver sur son chemin ; elle lui insufflerait une nouvelle vie, elle verserait un sang frais dans ses veines, des pensées neuves dans sa cervelle brûlée. Il avait trente ans, et depuis l’âge de quinze ans, il ne vivait que pour les femmes.
Voyage vers la mort (1911)
C’est un galant d’un tableau de Fragonard. Il prend plaisir avec les femmes et se sent éperdument amoureux à chaque fois. Pas de cynisme don-juanesque chez Sindbad. Non. Il se comporte avec les femmes comme un enfant dans une confiserie. En gourmand. Tout lui fait envie. Il a envie de toutes les goûter, la femme de l’aubergiste, l’actrice, la marchande, la photographe, la pianiste, la jeune fille d’à côté. Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse ? Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ces vers de Musset conviennent parfaitement à Sindbad qui est toujours légèrement intoxiqué d’amour.
Au fil des nouvelles pourtant s’égrènent les ravages faits par ce cœur d’artichaut, d’autant plus dangereux qu’il est sincère. A l’instant t. Après, c’est autre chose. Il est charmant, charmeur, elles sont charmées, envoutées et changées. Et dévastées. Il n’hésite pas à les enlever, à les compromettre. Il est impulsif. Il laisse derrière lui des femmes désespérées, certaines se suicident ; il a des enfants qu’il ne connait pas. Il s’en trouve dans des situations périlleuses :
A cette époque, Sindbad ne pouvait pas quitter l’auberge à l’enseigne du Bœuf Rouge. Il avait semé la discorde en ville en provoquant une demande de divorce qui se termina par une réconciliation et, à cause de lui, une demoiselle fut envoyée au couvent, celle-là même qui avait voulu se suicider à tout prix, tandis que des années plus, tard, elle devint la mère de quelque demi-douzaine d’enfants magnifiques.
Le Bœuf Rouge (1915)
Il s’en tourmente, mais pas longtemps. Sindbad est insaisissable, volage, il butine de fleur en fleur, papillonne.
Malgré ma vision d’un Sindbad sorti d’un tableau de Fragonard, on est loin des salons libertins du 18ème siècle. L’ambiance est plutôt celle des provinces hongroises, des voitures tirées par des chevaux, de la neige, du froid et de l’ambiance un peu romantique, mystérieuse et presque mythique de ces hivers rigoureux. On est parfois un peu dans l’univers onirique d’un tableau de Chagall
Une vache se mit à meugler dans l’étable, (depuis les temps bibliques cet animal aime prendre part aux événements familiaux), le chien de garde, qui dormait sur la neige, se rendit au milieu de la cour pour mieux voir l’âme qui s’envolait vers les étoiles scintillantes ; là il s’acquitta de sa cérémonie funèbre en hurlant à la mort.
Une étrange mort (1925)
Krúdy est un poète en prose. Il m’a fallu du temps pour lire ce cours recueil de nouvelles par que l’écriture de Krúdy ne se boit pas à grandes lampées, elle se déguste à petites gorgées pour mieux saisir et apprécier la beauté des images, la légèreté des descriptions, le caractère irréel des lieux.
Une chauve-souris passait comme un soupir tremblant surgi du passé malheureux d’un inconnu.
Sindbad part en pèlerinage. (1925)
Dans les jardins, les semis pointaient frais et verts. Seuls les peupliers plantés de part et d’autre de la rue avaient l’immobilité désabusée de ceux à qui tout est égal. Une de leurs feuilles tombait de temps à autre dans la voiture de Sindbad.
Sindbad et l’actrice. (1911)
Sindbad est nostalgique et Krúdy n’a pas son pareil pour écrire des souvenirs, nous faire palper des impressions.
Pendant les heures du soir et de la nuit, dès que Sindbad avait posé la tête sur l’oreiller, ses pensées voletaient comme des oiseaux migrateurs en partance, de plus en plus rares, de plus en plus lointaines, autour de lui ; ou bien pendant les grasses matinées, lorsque le rêve agréable, chaleureux, plein de baisers de la nuit demeurait encore à demi-enfoui sous la couverture, sur l’oreiller douillet, dans le moelleux velouté du tapis, et la reine des songes semblait se tenir encore sur le seuil avec son masque rouge, sa robe de soie noire, ses petits souliers vernis et ses bas aussi fins que ceux que portaient les suivantes à l’insu de leurs princesses…dans ces moments-là, Sindbad, recevait fréquemment la vitire d’une petite actrice brune dans sa chambre solitaire.
Voyage d’hiver (1912)
La nostalgie pousse Sindbad à revenir sur les lieux de ses amours de jeunesse, histoires d’un soir ou de quelques mois. Ses anciennes amantes sont restées dans le village où il les avait cueillies. Certaines sont mortes après avoir refait leur vie ou sans s’être remises de leur histoire flamboyante avec un Sindbad inconstant. On est entre rêve et réalité, entre réminiscence et apparitions de fantômes des temps anciens venus hanter un Sindbad vieillissant.
On est ambivalent à l’égard de Sindbad et c’est la prose de Krúdy qui crée cette ambivalence. Sindbad est égoïste et cruel. La poésie des textes atténue la noirceur de ses actes. Il ne vaut pas mieux que le Rodolphe qui séduit Madame Bovary mais le filtre nostalgique mis par le style de Krúdy entre le lecteur et les faits tamise la gravité des actions de Sindbad et tempère l’horreur des conséquences de ses pulsions amoureuses.
Au bout du bout, les véritables pensées de Sindbad lui sont propres et le resteront.
Chaque homme a son secret dont il ne parle jamais durant sa vie. Des choses qui se sont passées voilà bien longtemps, des actions honteuses, des aventures, des peines de cœur et des humiliations. Rien ne serait plus intéressant que de lire ce que, sur son lit de mort, quelqu’un dirait franchement, en toute sincérité, à propose des secrets qu’il a tus au cours de son existence.
Le secret de Sindbad (1911)
Sindbad ou la nostalgie est publié aux éditions La Baconnière. Les nouvelles sont traduites par Juliette Clancier et Ibolya Virág, qui dirige la collection de littérature d’Europe Centrale pour La Baconnière. Je remercie l’éditeur et Ibolya Virág de m’avoir envoyé un exemplaire de ce recueil de nouvelles.
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Thanks Jacqui, it’ll come as soon as I can.
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